LA FIN DU MONDE (Andrea)

il se souvient parfaitement de son enfance, de ces quelques souvenirs préservés et vécus avec sa mère biologique. elle était jeune et belle. insouciante. dangereuse aussi, surtout pour les deux enfants qu’elle avait mis au monde. andrea, et ensuite, sa petite soeur, freyja. il se souvient de tout, et encore plus du petit corps de sa soeur proche de la fenêtre, quasiment penché au dessus du vide, et peu de temps après, les personnes trop bien habillées, trop sérieuses, qui les regardaient comme s’ils avaient vécu le pire. andrea était bien dans ce petit appartement, malgré l’état peu terrible de leur logement, il s’y sentait chez-lui.

on lui a retiré cette maison pour lui offrir un lit, entouré d’autres gamins. certains avaient l’air malheureux, d’autres avaient sûrement déjà adoptés les lieux. heureusement, il avait sa soeur, même si elle était tout aussi perdue que lui, si pas même plus. il a rapidement compris qu’il ne reverrait plus sa mère et qu’à partir du moment où ils avaient franchi les portes de l’orphelinat, il ne restait plus que lui et freyja.

il a toujours trouvé ça injuste qu’on lui retire sa maison pour lui en offrir une autre où il était peu agréable de vivre. certes, il y avait moins de moisissures sur les murs, moins d’hommes, plus de femmes — même si elles le regardaient avec les yeux de la pitié, il les aimait bien, mais arrivé à ses six ans, il criait tout fort qu’elles n’étaient pas sa mère. turbulent et indomptable, andrea faisait sa loi. enfant colère, il ne se laissait pas faire.

jamais, ô grand jamais, il n’a laissé quelqu’un le séparer de sa soeur. on lui avait déjà retiré sa mère, il s’est fait la promesse que personne ne le séparera de sa cadette. ils sont toujours restés collés l’un à l’autre, malgré les obstacles, personne n’a jamais pu séparer ces gosses laissés au système.

il se fait adopter lorsqu’il a dix-sept ans, par un couple de femmes, avec sa petite soeur. alors qu’elle est discrète, lui refait le monde sous ses cris et ses poings. il a la haine, crache son venin, mais finira par se calmer. car, même si jusque là, les deux enfants ont survécu, il refuse de lui retirer cette nouvelle chance d’enfin grandir dans un foyer aimant. pourtant, son naturel revient au galop. et même s’il essaye, andrea se retrouve parfois dans des mauvais plans. c’est une mauvaise graine, sûrement comme l’était sa mère, et souvent, on l’attrape à faire une connerie, ou à en baver suite à ses mauvais choix. pourtant, même comme ça, on ne les lâche pas, et c’est là qu’il comprend.

d’un naturel fêtard et glandeur, il ne fait pas grand chose de sa vie, mais ses parents adoptifs finissent par le secouer. sa vie n’est alors faite que d’alcool, de soirées et de fumette. il se reprend en mains alors qu’il est âgé de vingt-et-un an, il se métamorphose en l’espace de quelques mois lorsqu’enfin il a un but, et qu’il peut exceller autre part que dans l’art de décevoir. il s’y met, à fond, peut-être trop, jusqu’à se tuer à la tâche. mais il y arrive, et l’andrea qu’on connaissait autrefois est enterré aux dépens d’un garçon qui, parfois, ne se reconnaît même pas.